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Note de Lecture :

Mélanges à la mémoire de Paul Sebag

jeudi 16 octobre 2008

Habib Kazdaghli (Attariq 18-10-2008)

[vert fonce] L’année 2006 a connu deux hommages à la mémoire de Paul Sebag. Un premier hommage lui a rendu le 10 mars, à la Faculté des Lettres de Tunis-Manouba, le second s’est déroulé à Paris le 02 avril de la même année. Ce sont les communications présentées au cours de la cérémonie parisienne qui viennent d’être publiées la semaine dernière dans un ouvrage de 175 pages coordonné par notre ami Claude Nataf, président de la Société d’Histoire des juifs de Tunisie. C’est cette association qui a prit l’initiative de l’organisation de cet hommage à l’Hôtel de la monnaie nationale à Paris dont les actes ont été réuni dans un beau livre intitulé : De Tunis à Paris. Mélanges à la mémoire de Paul Sebag . (éditions de l’éclat, Paris, octobre 2008, 15 euros).[/vert fonce]

Les seize contributions que compte l’ouvrage sont des recherches qui reviennent sur divers aspects de la vie de l’homme, ses apports dans les domaines de la sociologie et de l’histoire de la Tunisie, son parcours de chercheur et d’enseignant à l’Université de Tunis depuis sa fondation en 1960 jusqu’à sa mise à l’écart en 1977, lorsqu’on lui a refusé le renouvellement de son contrat et aussi des études libres qui abordent l’univers intellectuel, religieux et politique de la Tunisie et des autres pays du Maghreb, et des relations franco-maghrébines au cours des XIX e et XX e siècles.

Dans le premier chapitre réservé aux aspects politiques et religieux, le chercheur Yaron Tsur, aborde sous une approche comparative les élites juives d’Alger et Tunis vers 1800 où il conclut qu’ a cette date deux grandes familles s’étaient distinguées à Alger « les Cohen-Bacri et les Busnach », alors qu’à la même époque « les membres de l’élite juive de Tunis sont restés plus ou moins dans l’anonymat ». La situation de chacun des deux Etats voisins au XIX siècle va être tour à tour étudiée par Jacques Taïeb qui nous présente un tableau de la ville d’Alger à la veille de la conquête française et par Fayçal Bey qui nous livre une étude sur les moments du voyage d’Ahmed Bey premier en France en 1846. Les nouvelles réalités nées de l’établissement du protectorat français sur une partie de l’élite juive ont été étudiées par Armand Maarek qui a suivi l’évolution de la politique française face à la demande de naturalisation exprimée par cette élite moderniste, ébloui par le modèle français de l’émancipation des juifs.

Les thèmes liés à la culture et à la religion sont regroupés dans le second chapitre. Joseph Chetrit aborde les questions linguistiques dans la presse judéo-arabe de Tunis. L’apparition de Rabbin moderniste est analysée par Denis Cohen-Tannougi à travers le cas de Joseph Cohen-Tanouji -Hadria quant au professeur Fenton, il a analysé avec la contribution d’Amine Dellai, le contenu d’un poème en Melhoun algérien sur le complot des juifs de Khaybar, enfin Dominique Jarassé a fait une belle reconstitution du don Osiris pour d’édification d’une nouvelle synagogue à Tunis qui constitue à ses yeux un moment de la francisation d’une partie de l’élite de la communauté juive de Tunis.

La dernière partie de l’ouvrage est consacrée aux multiples apports de Paul Sebag . Lilia Ben Salem est revenue longuement sur son rôle précurseur dans le développement des études sociologiques aussi bien à travers ses études sur la société tunisienne qu’à travers ses cours pendant plus de vingt cinq ans à l’université de Tunis. Abdelhamid Larguèche a analysé la place qu’avait occupé l’étude de la ville de Tunis dans les recherches et dans l’œuvre de Paul Sebag . Colette Zytnicki et Claude Nataf, ont abordé, chacun de son côté, l’apport de Paul Sebag à l’écriture de l’histoire des juifs de Tunisie.

Un moment fort de la journée, bien relaté dans l’ouvrage, fut le témoignage de Renée, la fille de Paul Sebag qui a lu une lettre manuscrite, découverte dans les papiers des on père après son décès. Il s’agit d’un auto-portrait qu’il dresse de lui-même, en guise de réponse à une demande qui lui a été faite par son ami Claude Roy, il se définit comme : « Juif, parce que je suis né dans une famille juive…juif non pratiquant, je ne sais pas une prière en hébreu. Les seules prières que je connaisse sont les prières en italien parce qu’une « servante au grand cœur » italienne me les a apprit…Juif non croyant.

Aujourd’hui, comme il y a vingt cinq ans ou trente ans, je ne crois pas plus au dieu d’Israël, qu’au dieu des chrétiens ou des musulmans. Français par l’état civil, devenu français en 1911, mon père a fait la guerre 1914-1918…je suis né, à son retour d’Orient, français en 1919…Marxiste (parce que le marxisme s’est présenté comme la synthèse la plus satisfaisante de la foi des prophètes…Communiste, parce qu’il ne faut pas seulement comprendre le monde, mais le transformer..J’ai adhéré au P.C.T. (Parti communiste tunisien), en octobre 1936 ; j’avais dix sept ans,…anti-impérialiste…tunisologue, car très vite j’ai compris qu’une connaissance approfondie des réalités tunisiennes permettrait au parti dans lequel je militais de s’orienter correctement… « Patriote tunisien » comme tu aurais été patriote malgache, si tu étais né à Madagascar et militant au P.C malgache.

Aragon a écrit : « Mon parti m’a rendu les couleurs de la France ». Mon parti m’a donné les couleurs d’une nation dont je ne faisais pas partie.. » (p. 168).

Le livre est un beau témoignage à la mémoire de Paul Sebag, les différentes contributions insérées y présentent des éclairages sur l’homme et sur son époque. Le livre en cours de publication et qui contient les textes présentés à Tunis, ne manquera pas de couvrir d’autres aspects du parcours exemplaire d’un militant qui a beaucoup donné à la Tunisie, d’un intellectuel engagé dans les combats de son époque.

Habib Kazdaghli