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Récits oubliés sur les relations entre Tunisiens musulmans et juifs durant la seconde guerre mondiale (1940-1943)

jeudi 24 avril 2008

Notes de lecture

Dans la dernière livraison du magazine « L’Expression » (N° 27, 18 au 24 avril 2008), a été publié un dossier sur : La normalisation avec Israël, comprenant un article de réflexion de notre collègue Moncef Ben Slimane, une information sur la tenue d’un colloque à Jérusalem sur les juifs d’Afrique du Nord pendant la seconde guerre auquel a été invité monsieur Ahmed Abasssi, le représentant de la Tunisie auprès de l’autorité palestinienne et enfin, un article sur feu Khaled Abdelwahab , un Tunisien décédé en 1997. L’auteur de l’article nous informe que Khaled Abdelwaheb a été proposé pour recevoir à titre posthume le titre de « Juste parmi les nations » par Robert Satloff, auteur du livre : Parmi les justes. Histoires perdues de l’holocauste à l’intérieur des pays arabes1.


Comme nous avons modestement contribué à l’enquête menée par l’auteur en Tunisie et avons eu, à plusieurs reprises, l’occasion de discuter avec M. Satloff de son projet et des objectifs de sa recherche, nous avons jugé utile de présenter ce livre aux lecteurs d’attariq.

Parlant de cet ouvrage, A. Meddeb, souligne, dans son dernier livre,2 que Rob Satloff « en tant que Juif et qu’Américain, chercha un sujet pour montrer que la haine n’est pas une fatalité entre l’Islam et l’Occident, entre Juifs et Arabes ». La recherche se veut un dépassement « des préjugés anti-arabes et anti-islams » répandus en Occident suite aux événements du 11 septembre 2001.

L’auteur revient à la conjoncture de l’Afrique du Nord au cours de la seconde guerre mondiale pour se pencher sur la situation des juifs ; il constate que l’Allemagne et ses alliés n’ont pu contrôler ces régions que pendant peu de temps. De juin 1940 à mai 1943, les nazis, leurs collaborateurs français de Vichy, et leurs alliés fascistes italiens ont mis en œuvre sur les terres arabes de nombreuses mesures préparatoires de la « solution finale ». Il s’agissait de lois privatives de propriété, d’interdiction d’accès à l’éducation, du retrait du gagne-pain après la publication de numérus clausus dans plusieurs métiers et fonctions, décrétés par le gouvernement de Vichy dès l’automne 1940, d’assignation à résidence, d’interdiction de circuler, de travail forcé dans les camps dans lesquels périrent des dizaines de jeunes travailleurs, de déportations de dizaines de juifs tunisiens en Allemagne, le plus souvent suivies d’exécutions. travailleurs juifs

Certes, Il n’y avait pas eu de camps de la mort sur place en Afrique du Nord, mais plusieurs milliers de juifs furent internés dans plus de 100 camps de travail forcé, où l’on ne trouvait parfois que des Juifs. De fait, c’est dans les territoires arabes de l’Algérie et du Maroc que se trouvaient les premiers camps de travail forcé, libérés par des troupes alliées à la suite de leur débarquement, en novembre 1942 (Opération Torch).

L’auteur s’attarde sur la description de l’attitude des populations arabes, qui s’étaient le plus souvent résignées,, comme ce fut le cas en Europe, dans une position attentiste, même si « certains avaient pris part aux exactions contre les juifs ». Mais suite au travail minutieux d’enquête mené à travers les témoignages des survivants et à travers les documents d’archives, Satloff a pu conclure que les Arabes d’Afrique du Nord, ne participèrent pas tous à la campagne déclenchée par des Européens contre les Juifs, qu’il y a eu aussi, parmi eux, « ceux qui ont risqué leur vie pour sauver des Juifs et qui sont une source d’inspiration, même s’ils étaient peu nombreux ».

Ainsi, l’auteur affirme que sa recherche lui a permis d’établir qu’il y a eu des Arabes qui avaient abrité des Juifs chez eux, qui avaient gardé des objets de valeur appartenant aux Juifs que les Allemands leur auraient confisqués, qui avaient partagé avec des Juifs leurs maigres repas, et averti les chefs des communautés juives des descentes de SS en préparation. Le sultan du Maroc et le bey Moncef de Tunis,
Moncef Bey ainsi que le premier ministre tunisien M’hamed Chenik fournirent un appui moral et, parfois, une aide concrète à leurs sujets juifs. A l’époque de Vichy (juin 1940-novembre 1942), dans les prêches du vendredi, les imams des mosquées d’Alger interdisaient aux fidèles de recevoir en dépôt les biens juifs confisqués. En Tunisie, selon les termes employés par Yaacov Zrivy, un habitant d’une petite ville près de Sfax, "Les Arabes ont veillé sur les Juifs."

Rob Satloff signale avoir trouvé de remarquables histoires d’humanisme et de solidarité éprouvées par des Musulmans à l’égard des Juifs. C’est ainsi que dans des collines rasées à l’Ouest de Tunis, soixante Juifs qui s’étaient échappés d’un camp de travail de l’Axe frappèrent à la porte de la ferme d’un homme appelé Si Ali Sakkat. Ali Sakkat
Celui-ci les cacha courageusement jusqu’à la libération par les alliés. Dans la ville côtière tunisienne de Mahdia, un notable local, Khaled Abdelwahhab (fils de Hassen Husni Abdelwaheb) recueillit plusieurs familles juives (25 personnes) au milieu de la nuit et les transporta précipitamment à la campagne pour protéger une femme des entreprises d’un officier allemand spécialiste du viol. Fort des résultats de son enquête sur le terrain, Robert Satloff se décide à présenter la candidature de Khaled Abdelwahab pour être reconnu officiellement, même à titre posthume, comme faisant partie des « Justes parmi les Nations ».

A la fin de cette prospection menée par Rob Satloff dans les méandres de notre mémoire, avec ses oublis et ses occultations, l’auteur s’est interrogé sur les raisons qui ont fait qu’aussi bien les Juifs que les Musulmans n’ont pas cherché à faire connaître ces histoires, qui sont de belles illustrations d’une coexistence ancestrale entre les deux communautés. Une raison de plus pour dire qu’il est grand temps que ce travail soit prolongé, complété et enrichi par les travaux de chercheurs tunisiens, maghrébins et arabes, sans aucun tabou ni préjugé, avec lucidité et beaucoup de calme, sur une question qui continue à susciter bien des interrogations sur les raisons de notre silence sur cette page de notre histoire.

Habib Kazdaghli

Professeur d’histoire contemporaine, Université de Tunis-Manouba.